Si elle peut être perçue, dans une première approche, comme une contrainte supplémentaire, l'obligation faite aux entreprises de se doter d'un accord ou d'un plan d'action sur ce thème peut aussi fournir l'occasion d'améliorer la gestion des emplois et des compétences.

 

Confronté à la nécessité de procéder au financement des systèmes de retraite par répartition, le législateur a d'abord augmenté la durée minimale d'assurance requise pour bénéficier d'une retraite complète (Loi du 21 août 2003). Le taux d'activité des seniors n'a pas semblé directement impacté par cette réforme. Afin de remédier à cette situation, les lois de financement de la sécurité sociale pour l'année 2008 et surtout pour l'année 2009 ont pris un ensemble de mesures visant à améliorer ce taux d'activité.

 

Pour les entreprises, ces nouvelles obligations prennent principalement la forme d'un plan senior à défaut duquel une pénalité s'élevant à 1 % de la masse salariale sera due et ce, dès le 1er janvier prochain (articles L 138-24 et suivants du Code de la sécurité sociale). Le décret du 20 mai 2009 vient de préciser le contenu obligatoire de ce plan senior.

 

Compte tenu de cette obligation de prendre des engagements chiffrés en termes de maintien dans l'emploi ou de recrutement des seniors, le risque existe de vouloir éviter la pénalité de 1 % en prenant des engagements mal mesurés.

 

Certes, la pénalité ne semble pas pouvoir s'appliquer en cas de non-respect par l'entreprise de son engagement, mais les syndicats parties à l'accord ou les salariés envers lesquels ces engagements sont pris auront un intérêt à agir pour les faire respecter.

 

Il est donc nécessaire de déterminer avec prudence et en toute connaissance de cause les marges de manœuvre de l'entreprise dans la négociation. Pour les y aider, cette étude leur propose une méthode et des outils.

 

UNE METHODE

 

Première étape : recueil d'information en interne

 

Les accords seniors doivent prévoir des objectifs chiffrés de maintien dans l'emploi des plus de 55 ans ou de recrutement des plus de 50 ans. Cette obligation légale, inscrite à l'article L 138-25, 1° du CSS, doit inciter les entreprises à étudier leur pyramide des âges, de préférence métier par métier.

 

En effet, les accords devant s'inscrire dans une durée maximale de trois ans, la connaissance de la répartition des âges au sein de l'entreprise est indispensable pour apprécier l'évolution naturelle du nombre de seniors au cours des trois prochaines années : certains salariés vont, par la force de l'âge, devenir des seniors, d'autres, grâce à leurs années de cotisations, quitteront l'entreprise.

 

Cette évaluation permettra à l'entreprise d'opter pour les indicateurs les plus à même de définir des engagements pouvant être respectés : part des seniors dans l'effectif de l'entreprise, âge moyen de départ en retraite, nombre ou part de recrutement de seniors.

 

Deuxième étape : diagnostic

 

Les métiers  de l'entreprise répondent à des problématiques distinctes.  Dans certaines fonctions, l'expérience des seniors est irremplaçable et nécessite d'organiser une transmission du savoir-faire : il s'agira de retarder le départ des seniors. Dans d'autres, les salariés sont démotivés ou ont perdu leur compétence : il sera nécessaire d'anticiper la cessation d'activité par rapport à la rupture du contrat de travail.

 

Troisième étape : élaboration d'une stratégie

 

En croisant le recueil d'information en interne et le diagnostic effectué métier par métier, il devient possible de créer une véritable stratégie d'entreprise ayant pour objectif de concilier le respect du dispositif légal et les engagements contractuels qui en découleront avec les impératifs organisationnels de l'entreprise.

 

L'utilisation du CDD senior (C. trav. art. L 1242-3, D 1242-2 et D 1242-7), du cumul emploi-retraite (ou l'incitation du salarié à bénéficier de la surcote : CSS art. L 351-1-2 et D 351-1-4, cire. Cnav 2009-17 du 16 février 2009 et 2009-10 du 9 février 2009), du CDD à objet défini (Loi 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, art. 6) ou encore du contrat de professionnalisation (C. trav. art. L 6325-1 s. et D 6325-1 s.) sont autant de dispositifs à la disposition des entreprises pour leur permettre de respecter les engagements pris.

 

 

DES OUTILS

 

 

Les mesures à destination des seniors ont vocation à s'articuler selon deux périodes distinctes : entre 45 et 60 ans, on gérera la deuxième partie de carrière ; après 60 ans seulement, on envisagera la fin de carrière et le départ à la retraite.

 

La deuxième partie de carrière (45 ans-60 ans)

 

Contrairement aux idées prégnantes tant dans l'esprit des salariés que dans ceux des directions des entreprises, pendant cette période, le salarié est désormais encore loin de l'âge de la retraite. Il n'est donc plus envisageable d'engager à ce stade les mécanismes de fin de carrière.

 

Par contre, la deuxième partie de carrière constitue une période clé pour maintenir l'employabilité des seniors. L'entreprise comme le salarié doivent trouver les moyens de donner un second souffle à leur relation contractuelle. Les domaines des mesures susceptibles d'être prises portent surtout, pour reprendre la terminologie du décret du 20 mai 2009, sur « l'anticipation de l'évolution des carrières professionnelles », « l'amélioration des conditions de travail et prévention des situations de pénibilité » et le « développement des compétences et des qualifications et de l'accès à la formation ».

 

Anticipation de l'évolution des carrières professionnelles

 

Deux mesures semblent incontournables tant en ce qu'elles sont prévues par l'accord national interprofessionnel (ANI) signé le 9 mars 2006, relatif à l'emploi des seniors, qu'en ce qu'elles présentent un indéniable intérêt : l'entretien professionnel de deuxième partie de carrière et le bilan de compétences.

 

L'ANI relatif à l'emploi des seniors - étendu par arrêté du 12 juillet 2006 - précise que chaque salarié a droit, à l'occasion de son 45e anniversaire et ensuite tous les 5 ans, à un entretien destiné à faire le point, au regard de l'évolution des métiers et des perspectives professionnelles dans l'entreprise, sur ses compétences, ses besoins de formation, sa situation et son évolution professionnelle.

 

L'entretien se déroule avec le responsable hiérarchique de ce dernier et doit être distinct des entretiens d'évaluation. Il doit être l'occasion de faire le point sur un éventuel aménagement des conditions d'emploi (aménagement de poste, aménagement d'horaires, tutorat, etc.) et de l'évolution des rémunérations. L'accord d'entreprise pourra notamment préciser qu'il fait l'objet d'un compte-rendu.

 

Il s'agit là de faire prendre conscience au salarié qu'il doit être acteur de l'évolution professionnelle et envisager avec lui un véritable plan d'action individualisé qui lui permette de maintenir son employabilité et de préserver sa motivation au travail.

En complément, la mise à disposition d'informations sur la retraite, voire de simulations personnalisées, aidera les salariés à mesurer la durée prévisible de cette deuxième partie de carrière et donc à l'appréhender au mieux. En ce sens, l'article L 161-17 du CSS et ses textes d'application ont défini avec précision les modalités et le calendrier de mise en œuvre du droit des assurés à l'information sur leur retraite, ce qui doit permettre de disposer des informations nécessaires.

 

Cet entretien pourra également être l'occasion d'informer le senior des possibilités de formation (validation des acquis de l'expérience, droit individuel à la formation, période de professionnalisation) ainsi que sur les modalités d'aménagement du travail en fin de carrière.

 

Aux termes de l'ANI du 9 mars 2006, après vingt ans d'activité professionnelle et en tout état de cause, à compter de son 45e anniversaire, tout salarié bénéficie, à son initiative et sous réserve d'une ancienneté minimum d'un an, d'un bilan de compétences. L'objectif de ce bilan de compétences est « d'encourager la définition d'un projet professionnel pour la seconde partie de carrière ». Imputabilité de ce bilan de compétences sur le DIF ou possibilité de le réaliser à concurrence de, par exemple, 24 heures sur le temps de travail, pourront être ouvertes par accord d'entreprise.

 

Amélioration conditions de travail et prévention situations de pénibilité

 

De nombreuses mesures peuvent être prévues à cet égard, en collaboration avec le CHSCT et le médecin du travail, relatives à l'ergonomie des postes (en particulier à l'occasion de modifications ou d'investissements), à l'aménagement des horaires de travail, à la collaboration avec le CHSCT et avec le médecin du travail, ou encore à la mise en place d'un travail avec les agences régionales pour l'amélioration des conditions de travail (ARACT) dans les conditions définies par la circulaire DGT n° 2008-09 du 19 juin 2008 fixant les nouvelles modalités d'attribution du Fonds pour l'amélioration des conditions de travail.

 

Développement des compétences et des qualifications et accès à la formation

 

Le maintien des seniors dans l'accès à la formation et le développement de leurs compétences constitue un élément essentiel de la poursuite de leur activité. Plusieurs types d'actions pourront être envisagés : le suivi de chiffres permettant de s'assurer de l'égalité d'accès à la formation professionnelle entre les seniors et les autres salariés, l'anticipation du DIF (C. trav. L 6323-1 s. et D 6323-1 s.), l'accès prioritaire à la période de professionnalisation (C. trav. art. L 6324-1 s. et D 6324-1 s.), ou encore l'aide à la mobilité professionnelle.

 

Deux autres mesures sont particulièrement envisagées par l'ANI : l'abondement du DIF et la validation des acquis de l'expérience (VAE). L'abondement du DIF permet au salarié de 50 ans et plus d'abonder de plein droit, au moyen de ses droits au DIF, une action de formation professionnelle déterminée en accord avec son employeur lors de l'entretien de 2e partie de carrière. Les modalités d'exercices de la VAE pourront utilement être précisées par l'accord : aide administrative des ressources humaines, autorisation d'absence avec maintien de salaire, aménagements d'horaires, etc.

 

L'optimisation commune de la fin de carrière (55 ans)

L'un des problèmes majeurs de cette période est l'imprévisibilité du départ à la retraite. Entre la possibilité de départs anticipés, dans le cas de carrières longues ou tout simplement suite au rachat d'années d'études, et l'impossibilité de procéder à une mise à la retraite d'office avant 70 ans, la période d'incertitude quant au départ du salarié s'étale sur plus de dix ans.

 

Dans ces conditions, il est d'autant plus souhaitable de construire une stratégie commune visant à optimiser la fin d'activité du salarié qu'elle permettra de prévoir son départ et d'en anticiper les conséquences. Une telle démarche permettra de connaître le moment du départ à la retraite et de donner, dans une plus large mesure, des perspectives d'évolution de carrière aux autres salariés.

 

Cette optimisation commune de la fin de carrière présente deux aspects distincts, « l'aménagement des fins de carrières et la transition entre activité et retraite » et « la transmission des savoirs et des compétences ».

 

Aménagements des fins de carrières et de la transition entre activité et retraite

 

L'aménagement de la fin de carrière pourra être précédée par l'établissement d'un bilan de retraite, tout particulièrement destiné aux salariés ayant eu un parcours professionnel complexe et qui permettra, en collaboration avec le salarié, de procéder à la reconstitution de carrière, à l'optimisation du montant de la pension de retraite, à la détermination de la date de départ la plus intéressante, ainsi que d'examiner l'éventualité du rachat de trimestres au titre des articles L 351-14 et L 351-14-1 du CSS et de ses textes d'application, permettant le rachat de certaines périodes d'études supérieures et d'activité, tant auprès des régimes de base que des régimes complémentaires Agirc et Arrco.

 

A défaut de bilan, une information - notamment quant au niveau du revenu de remplacement - voire une préparation à la retraite pourront permettre aux salariés de prendre une décision quant à la date de leur fin de carrière. Cette information sera confortée par « l'estimation indicative globale » qui, à compter de 2011, sera délivrée par le GIP Info-retraite à tous les assurés âgés de 55 ans.

 

Le plan senior pourra prévoir, à l'instar de nombreux accords de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC), la mise en place d'un temps partiel ou d'une décharge partielle d'activité avec maintien de la rémunération. Dans ce dernier cas le salarié peut néanmoins continuer à cotiser à taux plein et la part salariale prise en charge par l'employeur n'est pas considérée comme une rémunération par le Code de la sécurité sociale, en application de l'article L 241-3-1 du CSS.

 

L'utilisation des sommes placées dans un compte épargne-temps (CET) peut permettre un passage à temps partiel avantageux pour le salarié dès lors que, depuis la loi du 31 mars 2005, le montant des droits épargnés et la durée d'utilisation de ceux-ci ne sont plus limités.

 

Une fois ses droits à retraite acquis, le salarié pourra poursuivre son activité dans le cadre d'un cumul emploi-retraite désormais libéralisé, c'est-à-dire sans plafond de revenus ou de délai de carence de six mois pour une reprise d'activité chez le même employeur.

 

Le contrat à durée indéterminée ne constitue sans doute pas le meilleur support à cette poursuite d'activité qui n'aura, dans la plupart des cas, pas vocation à s'inscrire dans une longue durée. Il conviendra donc de se montrer particulièrement attentif à la forme que prendra cette collaboration pour laquelle des supports plus souples pourront être envisagés : prestation de service, portage salarial, contrat à objet défini. Ce dernier nécessitant un accord d'entreprise, il pourrait opportunément être prévu dans l'accord senior.

 

En lieu et place du cumul emploi-retraite, le salarié pourra privilégier le mécanisme de la surcote, une majoration de la pension de retraite dont bénéficient les assurés qui continuent de travailler après 60 ans et au-delà de la durée d'assurance nécessaire pour une retraite à taux plein, qui a été rendu plus avantageux en étant portée à 1,25 % par trimestre accompli dès la première année travaillée - et non seulement à partir de 65 ans comme auparavant - à compter du 1er janvier 2009.

 

A ces outils s'ajoute le CDD senior, contrat à durée déterminée créé au profit des chômeurs de plus de 57 ans en recherche d'emploi depuis plus de trois mois ou bénéficiaires d'une convention de reclassement personnalisée.

 

En outre, la poursuite de l'activité des seniors ne sera plus entravée par la contribution Delalande, supprimée par la loi 2006-1770 du 30 décembre 2006 en raison de son effet contre-productif sur l'emploi des seniors. En effet cette dernière incitait dans les faits les entreprises à licencier les seniors avant l'âge à partir duquel était due la contribution afin de ne pas avoir à la verser ultérieurement.

 

Transmission des savoirs et des compétences

 

L'aménagement de la fin de carrière peut également consister à confier au senior un plus grand rôle dans la transmission des savoirs et des compétences. Il pourra être tuteur, réfèrent nouvelle embauche ou expert auprès de salariés prenant de nouvelles responsabilités. Il aura plus que jamais vocation à effectuer des missions de conseil ou de formation en interne, voire à animer des forums métier en interne ou à représenter l'entreprise à l'extérieur.

 

En conclusion

 

Un véritable chantier de négociation conventionnelle attend les entreprises. Au cours de celui-ci, deux éléments seront opportunément gardés à l'esprit : ne pas céder à la précipitation, car des engagements trop rapidement évalués pourront se révéler hors d'atteinte tant financièrement que juridiquement ; s'inscrire dans le temps : l'accord ou le plan ayant une durée maximale de trois ans, cette obligation de prévoir des mesures en faveur des seniors a vocation à revenir à intervalles réguliers. A cette double condition, les entreprises pourront transformer une obligation de négocier en une opportunité pour améliorer la gestion des emplois et des compétences.

 




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